« Épuisement », « apathie fonctionnelle », « surmenage », « troubles anxieux-dépressifs » etc… le vocabulaire change et varie selon les médecins à l’annonce du burn-out. Pourquoi autant de diagnostics différents ?
Tout d’abord parce que les médecins et les chercheurs ne sont pas tous d’accord entre eux sur le diagnostic du burn-out (et de la dépression) et surtout parce que des symptômes différents peuvent amener au même diagnostic. Enfin, la sensibilité des médecins face au sujet de la souffrance au travail est plus ou moins importante selon leurs pratiques professionnelles et leur type de clientèle (médecin généraliste ou médecin du travail ou psychiatre).
Le diagnostic dépend aussi des éléments et des symptômes du patient qui n’a justement pas cette capacité de verbaliser à ce moment précis de son épuisement. Il ne réalise pas encore, il sent juste que quelque chose lui échappe et qu’il ne se sent pas très bien. Mais cela reste flou, inconfortable et difficilement explicité par lui. Au pire, il reste dans cet état, n’arrivant pas à mettre de mots sur son mal-être et retourne au travail.
1.1 – Réussirez-vous à accepter ce diagnostic ?
Paradoxalement à ce stade, toute la souffrance précédant la prise de conscience du burn-out n’est pas encore à son apogée. La décision la plus difficile est celle de dire STOP. Cette décision est irrévocable et sans retour : le salarié le vit comme tel. Une sorte de chagrin d’honneur. Cet arrêt est vécu violemment, car imposé par une situation que le salarié n’a bien sûr pas voulue, et bien souvent à laquelle il n’était pas préparé. C’est cette violence et cette soudaineté qui déstabilise encore une fois et créée des ondes de chocs pour l’entourage de proximité aussi. La décision d’arrêter est complexe à vivre car incontournable, non-désirée parfois imposée et de fait non-acceptée.
Au-delà des apparences, c’est l’honneur qui se trouve en grand désarroi. Le sol se dérobe sous vos pieds, le vide peut vous sembler profond. La solitude est immense pour certains. Un écho ne répond plus. Mais comment en suis-je arrivé là se demanderont certains ? Tout ça à cause du travail ? On a du mal à le croire. Et pourtant…. Le travail peut mettre dans tous ces états. Si c’est votre cas : il est urgent de réagir.
1.2 – Pourquoi souffrez-vous d’être en arrêt ?
Parce qu’en plus de souffrir dans son « être physique », il vous faut supporter de souffrir dans votre « être social » et apprendre à faire face aux représentations du malaise que votre entourage projettera très maladroitement sur vous : «mais que t’est-il arrivé ? Tu « nous » fais une dépression, c’est ça ? ». Que répondre à cela autrement que par un repli plus profond ou une colère d’incompréhension.
Au-delà du corps, c’est l’égo qui souffre, c’est l’image de soi et le cortège de culpabilité lié à un doute sur ses compétences et sur ses aptitudes : mais pourquoi n’ai-je pas tenu plus longtemps ? Pourquoi n’ai-je pas redoublé d’effort ?
Tout est remis soudainement en question pour ces salariés qui ne voulaient donner que le meilleur d’eux-mêmes. Reconnus souvent d’ailleurs comme de très bons éléments par leur manager, comme loyaux, professionnels et honnêtes, cette image de personne épuisée ne leur correspond pas et même l’entourage reste dans l’incompréhension d’un anéantissement si soudain. Pourquoi eux ? Ils semblaient si bien gérer.
Enfin, s’il est difficile de prendre la décision de s’arrêter, il est aussi difficile de reprendre l’activité de travail pour les mêmes raisons. Cette difficulté de la reprise est rarement anticipée au moment de l’arrêt, l’urgent étant justement de s’arrêter et de vous mettre à l’écart du travail. Pourtant cette question de la reprise est une problématique à part entière et peut s’avérer être un réel frein au moment de la reprise si elle n’a pas été évoquée avec vous et votre entreprise.
1.3 – Les fausses bonnes idées
- Poursuivre ses efforts malgré la fatigue.
- Assister à plus de réunions pour être opérationnel.
- Travailler plus, plus tard, plus longtemps.
- Accumuler des dossiers complexes.
- Se croire indispensable professionnellement.
- Négocier sans cesse des reports de délais pour y arriver.
- Espérer l’impossible, viser l’inatteignable.
- Aller au travail avec un arrêt maladie dans la poche.
- Poursuivre son activité professionnelle depuis son lit d’hôpital.
- Emporter des dossiers pro en pensant les traiter le week-end.
- Dire que ça va bien.
- Se connecter à sa messagerie professionnelle depuis chez soi trop souvent ou de façon disproportionnée.
- Demander les comptes-rendu des réunions auxquelles vous n’avez pas pu assister en espérant rattraper les infos.
- Appeler vos clients depuis votre domicile malgré votre arrêt de travail.
- Ne pas suivre les conseils du médecin.
- Reprendre le travail avant la fin de l’arrêt de travail (risque de rechute).
Parmi les professionnels, très peu se sont posés la question de la reconstruction en tant que telle après un épuisement au travail. Il semblerait que cette expression soit assez nouvelle ou ne parle pas, bien qu’ils en comprennent tout à fait l’idée et que la métaphore leur parle. Tout au moins le thème de la reprise d’activité est évoqué par les professionnels RH et les accompagnants hors de l’entreprise mais rarement celui de la reconstruction. Ils évoquent par contre plus facilement le terme de deuil et emploient paradoxalement l’expression « faire son deuil d’une situation », pour parler de reconstruction…. !
2.1 – Qui dit urgence, ne dit pas forcément soin…
Il y a plusieurs écoles et les réflexions sur votre diagnostic fleurissent dans les esprits des professionnels :
Il faut « Protéger », « Examiner », « Alerter », « Secourir » diront les sauveteurs secouristes du Travail.
Il faut « Arrêter le travail », « Prolonger l’arrêt », « Surveiller », « Vérifier le symptôme » pour les médecins.
Il faut « Éloigner », « Sortir de l’entreprise », diront les psy.
Il faut « Dénoncer », « Monter au créneau », diront les syndicats.
Il faut « Proposer des relais », « Orienter au mieux » diront les spécialistes en RH et les consultants.
Et vous ? Vous voulez quoi ?
2.2 – Le burn-out est une pathologie
Les médecins et les psychiatres en cabinet privé ou milieu hospitalier (en dehors de travail) cherchent à faire un diagnostic de votre situation : c’est leur objectif primaire. Une fois le diagnostic posé, votre problématique est étiquetée en pathologie (épuisement, trouble anxieux, dépression etc.…). Le burn-out est un trouble de l’adaptation. Il fait partie des troubles de la santé mentale.
Parmi une liste de symptômes appartenant au DSM-IV (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), le médecin a plus ou moins le temps et l’envie d’affiner son diagnostic par des éléments sociologiques de contexte d’entreprise car cela nécessite de prendre contact avec d’autres professionnels (médecins du travail) et de confronter les éléments, les diagnostics et les points de vue. Ce n’est pas son rôle immédiat.
2.3 – Le burn-out est un problème d’entreprise
Les médecins du travail questionnent d’avantage le contexte professionnel d’une part, parce qu’ils connaissent l’entreprise et d’autre part parce qu’ils ont la possibilité de faire des recoupements (puisqu’ils reçoivent plusieurs salariés de la même entreprise).
Contrairement à leurs confrères en cabinet et en milieu hospitalier, ils ont le devoir d’alerter le DRH de l’entreprise des inaptitudes, des symptômes inquiétants répétés ou mal être au travail nécessitant surveillance. Ils ont le devoir sur le plan déontologique et éthique d’informer l’employeur d’une situation critique et des risques encourus pour la santé des salariés ; si l’employeur ne se saisit pas du problème, il peut s’appuyer sur un membre du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour lancer une procédure d’alerte.
Certains médecins du travail travaillant en collaboration avec les infirmières et les assistantes sociales savent et peuvent identifier les origines ayant conduit à la manifestation de ce symptôme chez le salarié. Ils peuvent alors préconiser le retrait de l’entreprise. Mais ils ne parlent pas encore de soin à ce moment-là et encore moins de reconstruction. Leur rôle est d’alerter quand il en est encore temps. Ils seront présents également à votre retour d’arrêt pour valider l’aptitude à la reprise d’activité salariée.
L’entreprise clairement montrée du doigt par les psychiatres : La reconstruction serait plutôt affaire de contexte organisationnel d’entreprise selon eux et à cela ils ne peuvent rien.
(Psychiatre). Quand le médecin exerce sans lien direct avec l’entreprise, l’avis est plus marqué et l’entreprise est clairement coupable.
(Psychiatre) |
2.4 – Attention aux solutions d’urgence trop faciles
Se réfugier derrière un diagnostic personnel et individuel est urgent mais dédouane rapidement l’entreprise d’un problème collectif et organisationnel.
Ensuite, la trop grande prise en compte de la sphère personnelle amène à une mise à l’écart du travail par une prescription d’un repos forcé et la prise de médicaments temporairement prescrits. Soigner le terrain individuel ne modifie en rien le terrain collectif de l’activité de travail. On isole la brebis dite galeuse, mais le virus est dans le troupeau.
Cela a pour conséquence certes de reconnaître la personne comme victime, mais aussi de lui renvoyer la responsabilité de son épuisement tout en dédouanant (pour un temps) l’entreprise, d’une éventuelle remise en question des conditions de travail imposées par le travail prescrit.
2.5 – Best practices
Néanmoins, quelques rares entreprises mettent en place des expérimentations pour réfléchir autour de ces enjeux de reconnaissance partagée de l’épuisement professionnel.
Elles utilisent les approches pluridisciplinaires pour travailler sur la souffrance au travail.
Elles s’entourent d’experts auprès de la DRH (psychologue du travail, sociologue, ergonome, etc.).
Elles mettent en place des cellules d’accompagnement pour réfléchir au retour du salarié.
3.1 – Votre entourage de proximité
Vos collègues, vos clients ou vos fournisseurs font partie de l’environnement direct dans lequel vous évoluez. Ils sont donc témoins, plus ou moins conscients et/ou acteurs de la situation stressante que vous connaissez. Ils ont des contacts suivis et fréquents et peuvent avoir créé des liens quasi-amicaux avec vous.
Ils sont parfois au courant des pratiques de l’entreprise et compatissent. Ils peuvent sentir, entendre ou percevoir une dégradation de votre santé avec comme option possible de vous prévenir ou de vous alerter avec bienveillance quand ils sont eux-mêmes sensibilisés par ce sujet. Ces témoins peuvent être n’importe lesquels d’entre nous, qui nous apercevons sur le lieu de travail que notre collègue « n’a pas l’air en forme depuis quelque temps » ou que « il me semblait bien que quelque chose n’allait pas bien dans sa boîte, mais il ne m’en parlait pas ».
Rappelons juste que la loi sur le stress au travail nous concerne tous avec un devoir d’alerte envers son collègue qui va mal. Cependant, la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée freine à mettre cela en pratique de peur d’être intrusif envers un salarié.
3.2 – Vos ressources humaines
Les ressources humaines seront plus ennuyées voire plus maladroites par manque d’expérience souvent en la matière, mais certaines chercheront réellement à s’impliquer dans la résolution de ce qu’elles considèrent comme un « souci RH ». Les entretiens avec des DRH ont montré que l’approche de la souffrance au travail était différente selon la culture sociale de l’entreprise, l’ancienneté qu’ils avaient dans leur fonction et leurs parcours professionnels. Toutes les directions des ressources humaines ne sont pas sensibilisées de la même manière aux risques psychosociaux.
Premier constat, peu de DRH reconnaissent le risque psychosocial au sein de leur structure. Alertés par les syndicats, ils tentent de minimiser au début parce que c’est un sujet nouveau pour eux.
Deuxième constat, s’ils reconnaissent un certain mal être, ils pensent qu’il a souvent pour origine un manque d’aptitude de leurs collaborateurs à mettre à distance leurs difficultés personnelles ou pensent qu’il y a un problème dans la sphère privée qui déteint sur le professionnel. C’est une autre forme de déni. L’environnement de travail est rarement mis en cause par eux :
Vous savez les managers ne sont pas responsables de tout. Ce n’est pas si simple. C’est souvent un problème personnel qui est dernière, un problème dans la famille et ça se répercute sur le comportement au bureau, on supporte moins les contrariétés tout ça…
DRH d’un grand groupe industriel des Hauts de Seine
Lorsque les DRH sont informés d’un salarié en souffrance ou en difficulté (par le médecin du travail, un collaborateur, un chef de service…) celui-ci « est invité » à se faire aider par le dispositif interne (lorsqu’il existe !), ou bien à se faire aider à l’extérieur de l’entreprise.
Pour conclure, les DRH que nous avons rencontrés sont mal à l’aise avec ces questions de risques psychosociaux. Ils sont plus à l’aise avec les risques professionnels dits classiques tels que la lutte contre le bruit, les chutes, les matériaux dangereux ou produits toxiques, etc.…
Quant à la prise en charge pluridisciplinaire, on trouve parfois quelques dirigeants d’entreprise ayant une action volontaire sur les risques psychosociaux et se donnant les moyens de travailler avec des ergonomes, des préventeurs, des assistantes sociales et des psychologues en complémentarité avec eux et le médecin du travail.
C’est vrai que ce n’est pas évident pour nous, entre le geste symbolique d’un salarié en provocation et le réel malaise au sens où vous l’entendez, les causes ne sont pas souvent très claires, il faut alors faire appel à des experts pour nous aider, c’est difficile d’être sûr. On ne sait pas encore faire je crois, on apprend.
DRH de PME de services
Ces entretiens permettent de mesurer alors l’important travail d’organisation et de régulation que nécessite la prise en charge de l’accompagnement d’un seul salarié pour des résultats imperceptibles au niveau du collectif dans un premier temps.
La solution de facilité amènera donc souvent vos DRH à vous proposer un accompagnement individualisé (mais malheureusement stigmatisé) pour concourir à votre apaisement dans votre travail (stage en gestion du stress ou maitrise de ses émotions, pris sur votre DIF1), plutôt que de remettre en cause leur système de management globale des ressources humaines.
3.3 – Vos représentants du personnel
Dans les organisations de travail où les représentants du personnel sont régulièrement formés, conscients des enjeux du travail, de la santé et de la sécurité, le fonctionnement est organisé entre chaque instance pour voir naître des actions concrètes. Ils travaillent en collaboration avec les RH pour rédiger des accords de fond ou de méthode sur les risques psychosociaux dans votre entreprise.
3.4 – Vos interlocuteurs médico-sociaux
Ils s’emparent en général assez rapidement de votre problème, voire informent directement pour vous les instances internes de ce que vous vivez sans que vous ne soyez préparé aux conséquences :
Moi je ne voulais pas qu’on en parle, mais c’est le médecin du travail qui m’a fait un certificat d’inaptitude temporaire et qui a informé les RH. Après, tout est allé trop vite pour moi, c’était le branle-bas de combat, je ne m’y attendais pas vraiment…
Salariée épuisée suite à un harcèlement moral
Ils aident le salarié en le mettant en retrait de l’entreprise et lui préconisent un traitement et/ou un suivi psychologique. Comme nous l’avons vu, le médecin du travail est le garant de la santé du salarié après l’employeur. Il doit procéder à des visites médicales tous les deux ans et peut recevoir un salarié à sa demande.
Dans le cas de la souffrance au travail ou de l’épuisement professionnel, il doit mener des investigations au sein du service du salarié, travailler avec ses partenaires internes et externes à l’entreprise (DRH, médecin généraliste, infirmière assistante sociale et psychologue du travail…). Il accompagne le salarié soit en interrogeant l’organisation du travail, soit en l’invitant à travailler sur lui avec un confrère si le mal-être est profond.
Le salarié peut être pris en charge par un psychologue ou une assistante sociale. Ces derniers, par une approche psychosociale, vont tenter de l’accompagner au mieux en travaillant sur l’objet du mal-être et les conditions matérielles de sa sortie. L’employeur peut ou non en être informé, seul l’individu peut l’autoriser. Pour les professionnels de la sphère médico-social, cet accompagnement se donne pour finalité de préparer votre retour dans l’entreprise. Ce genre d’actions donne de bons résultats.
Le médecin du travail est le pivot, il conseille à la fois le salarié et l’employeur (au travers d’une équipe pluridisciplinaire si elle existe) en faisant des préconisations (un changement de service peut être demandé, un aménagement de poste ou d’horaire).
En général la reprise se fait sur le mode d’un mi-temps thérapeutique prévu par le code de la sécurité sociale. C’est une solution optimale pour la reprise et la reconstruction de l’individu. Si cette démarche n’est pas suivie dans sa totalité, le risque de rechute est possible. Le bien-être au travail n’est pas que du rôle du salarié, l’entreprise doit être partie prenante.
1 Droit Individuel à la Formation.
4.1 – Votre médecin généraliste
Ses 3 fonctions majeures :
- Diagnostiquer de façon neutre et bienveillante votre réel état de santé.
- Vous alerter des risques que vous encourez.
- Vous prescrire un traitement adapté.
C’est souvent le premier à être au courant de votre état de stress car c’est le premier acteur de la sphère médicale que vous consultez surtout si vous n’avez pas souhaité en parler aux personnes en charge du médico-social de votre entreprise.
Recevant en moyenne une quarantaine de patients par jour, il n’a malheureusement que très peu de temps : il ira donc vite à l’essentiel et pourra parfois manquer de tact ou de pédagogie pour vous expliquer ce qui se passe en vous. Mais l’avantage est qu’il vous connait depuis plusieurs mois, plusieurs années et qu’il a un historique et donc des points de repères sur votre santé.
A ce stade, vous vous constituez vous-même « patient » et le médecin mesure l’ampleur des symptômes en 20 petites minutes :
C’est parfois difficile de repérer ce qui est de l’ordre de la fatigue ou de l’usure professionnelle en une seule consultation. Quand on suit la personne depuis longtemps et qu’on connait bien la famille, on est plus efficace sur le traitement à prescrire, on l’oriente alors vers un confrère psy.
Médecin généraliste
Dans tous les cas, les généralistes prescrivent dans un premier temps un court arrêt de travail et des médicaments :
Ce sont souvent les mêmes symptômes qui reviennent mais qui différent d’une personne à l’autre, soit c’est l’insomnie, soit ce sont les troubles anxieux dépressifs, parfois les deux, alors on prescrit respectivement des somnifères et des anxiolytiques avec des antidépresseurs, mais ces derniers feront effet seulement dans 3 à 6 semaines. On sait que le symptôme ne disparaitra pas tout de suite, donc on délivre un arrêt de travail renouvelable, le temps que les choses s’apaisent.
Médecin généraliste
L’avantage avec le médecin généraliste, c’est que la personne se sent tout de suite en confiance : « il me connait depuis que j’ai 18 ans, il a bien vu que je n’allais pas bien… » . « c’est même moi qui lui ai demandé s’il ne pouvait pas m’arrêter, tellement je n’en pouvais plus… ».
L’inconvénient du médecin généraliste, c’est qu’il « dégaine un peu vite la panoplie « médicamentueuse » sans en préciser réellement les effets (…). C’était la première fois que je prenais des antidépresseurs et sur les jeunes adultes, il faut faire gaffe quand même… » nous affirme timidement cette jeune femme. Son rôle n’est pas d’accompagner, mais de stopper la plainte et ils le reconnaissent : « Moi mon métier consiste à repérer le symptôme pour le faire disparaître. S’il a besoin d’une thérapie, ce n’est pas possible, pas en 20 minutes ! » nous dit ce même médecin.
La fonction du médecin généraliste est connue, mais les limites de son rôle dans ces cas précis un peu moins.
Jusqu’où peut-il aider son patient ?
Est-ce que prescrire un antidépresseur est suffisant ?
Comprend-il les enjeux des entreprises et de la pression qui pèsent sur les salariés en souffrance ?
4.2 – Les professionnels de l’accompagnement
Il existe 2 types d’accompagnement :
- l’accompagnement professionnel (RH, consultant, formateur, coach, bilan de compétence)
- l’accompagnement thérapeutique (thérapeute, psychologue, psychosomaticien)
Ce sont les professionnels qui sont en contact indirect avec votre sphère professionnelle et votre entreprise. Les premiers en comprennent parfaitement les enjeux, les seconds vous aideront en vous posant des questions pour y voir plus clair sur votre mode de fonctionnement dans l’entreprise, comprendre ce qui vous convient et ce qui ne vous convient pas.
Il s’agira des professionnels de la gestion de carrière, les psychologues du travail, voire les formateurs-coach rencontrés lors d’une formation intra entreprise qui ont marqué une personne : « très souvent à la pause, un stagiaire vient vous demander un conseil pour régler un problème de communication dans son quotidien… » nous confie ce coach-formateur. C’est une première demande d’aide qui se cache derrière. Certaines n’iront pas plus loin, d’autres poursuivront par une prise de rendez-vous avec un coach ou un psy si le problème est plus d’ordre personnel.
4.3 – L’accompagnement en gestion de carrière
Pour certains autres professionnels hors de l’entreprise spécialisés dans l’accompagnement des mobilités et la gestion de carrière, la position est plus ambiguë du fait de leur statut de prestataire de service envers l’entreprise :
Il nous arrive souvent de détecter derrière une demande de mobilité professionnelle, une personne en souffrance, voire en épuisement total, à qui il est hors de question de prester un bilan de compétences. Notre entretien est un diagnostic de carrière si je puis-dire, mais pas un entretien psy, bien que nous ayons de plus en plus de personnes qui se mettent à pleurer dans nos bureaux.
Consultant Apec, Paris – La Défense
Les enjeux autour d’une carrière sont souvent révélateurs de ce qui se passe ou de ce qui ne se passe plus justement. Les recherches dans ces domaines sur l’activité empêchée aident à comprendre ce qui se passe.
A ce stade, le passage de relais vers des relais psychologiques ou thérapeutiques est fortement recommandé tout en laissant le libre arbitre à la personne. Le rôle du consultant est pédagogique. Il doit aider la personne à se rendre compte de son besoin et l’aider à mettre en place un plan d’actions compte tenu des axes de vigilance exprimés. C’est un premier avis d’expert qui est utile à la personne pour prendre des décisions qui lui reviennent.
4.4 – L’accompagnement thérapeutique
Les relais psy ou thérapeutiques peuvent être des associations ou des lieux de consultations autour de la souffrance au travail (hôpital, institutions médicalisées etc…). Par extension, le psychopédagogue de l’enfant de la famille peut aussi être consulté indirectement par le père ou la mère qui se sentent en état d’épuisement. Ces psychologues et psychothérapeutes peuvent combiner plusieurs rôles :
Il n’est pas rare qu’un parent d’enfant en suivi me demande si je fais aussi des consultations pour adultes… Derrière se cachent souvent des problèmes d’ordres professionnels qui empiètent sur le personnel.
Thérapeute familial – Essonne
Quant aux psychologues adeptes de Freud recherchant à expliquer les origines en vous plus que dans le monde du travail, affirment que le burn-out apparait essentiellement chez les individus ayant une image idéale d’eux-mêmes. Pour ne pas se décevoir, ils auraient ainsi recours à l’utilisation massive de leurs ressources qu’ils pensent inépuisables. La conséquence serait alors l’apparition des 4D (disengagement, distancing, dulling, deadness)1.
Au préalable, le processus de frustration des motivations idéalistes sera passé par quatre stades : enthousiasme, stagnation, frustration, apathie. La difficulté de l’individu à tempérer ses attentes (savoir attendre ou accepter un gain différé) ou tout simplement l’absence de capacité à changer d’emploi peuvent précipiter également la descente aux enfers. Par peur de perdre l’illusion de sa supériorité, le « candidat au burn-out » ferait ainsi une erreur stratégique en choisissant d’épuiser ses réserves émotionnelles. Pour rester efficace, il fait alors le choix de développer une stratégie de distanciation (ou de se rapprocher au maximum tout en maintenant une certaine distance). Malheureusement, cette aptitude n’est pas le lot de tout le monde et les conséquences sur le coût identitaire sont chères pour l’individu.
Certains réagissent d’une manière excessive et adoptent une attitude impersonnelle, négative et cynique dans laquelle l’implication initiale fait place à une indifférence totale. Cette déshumanisation est la seconde phase du processus de burn-out. C’est en fait une stratégie d’ajustement défensive vis-à-vis de l’épuisement émotionnel, qui entrave davantage la relation : l’épuisement ne s’en trouve pas réduit, mais augmenté. Il est intéressant de noter à ce stade, que la clinique de l’activité des équipes Yves Clot2 apparaît dans les années 2000 et que ce sont les premières recherches à s’interroger sur l’activité empêchée et les conséquences sur les désordres et troubles psychiques chez les individus fortement impliqués dans leur travail et visant la belle-ouvrage. À partir de ce moment, le candidat au burn-out n’arrive plus à fournir ce qu’on attend de lui. Un sentiment d’incompétence est en train de s’installer : troisième phase du processus de burn-out ; commence alors la spirale infernale descendante : le sentiment d’incompétences s’accentue, renforce l’épuisement émotionnel et accroît la déshumanisation de la relation.
Tous ces professionnels sont souvent sollicités à cause du travail. Ils exercent tous un métier d’écoute. Les soucis d’ordre professionnel s’exportent jusqu’à domicile et se déversent parfois sur le chemin du retour à la maison. Les professionnels de la gestion de carrière orientent leur client vers les thérapeutes et l’inverse est réciproque. Se produit alors une valse à 3 temps entre le salarié, le consultant et le psy / le psy, le consultant, le salarié etc… On peut dire qu’ils travaillent de concert en multipliant les chances de succès d’une reconstruction en misant sur la complémentarité et les respects de la discipline d’un confrère relié par les mêmes valeurs d’entraide et d’écoute bienveillante dans un but de reprise d’activité, de changement et de reconstruction.
Ces professionnels se présentent davantage comme des accompagnants temporaires lors de turbulences d’ordre personnel ou professionnel. Ils ne s’engagent pas sur un résultat annoncé, mais s’engagent sur un objectif de moyens qu’ils cherchent à co-construire avec l’aide du salarié en demande. Contrairement au médecin généraliste qui considère notre victime comme un patient, le consultant et le thérapeute le considèrent comme un client. La sémantique est assez révélatrice pour qu’elle soit relevée. Elle démontre des représentations différentes malgré le fait que ces 2 sphères aient en commun le fait d’être hors-entreprise. On peut alors s’interroger sur les conséquences et les répercussions de cette sémantique dans la tête de celui qui vient chercher de l’aide… Dans un cas, il est passif (le patient), dans l’autre cas, il est actif (le client).
Un dernier point commun entre ces professionnels de l’accompagnement : la pédagogie. Nous venons de le voir, ils mettent en place une démarche constructiviste. Cette démarche s’appuie sur la carte mentale du client dans laquelle l’accompagnant cherche à faire évoluer le cadre de référence de la personne afin de faire évoluer ses représentations et ainsi la libérer d’un carcan pour lequel elle vient consulter. Cette approche est éminemment pédagogique et progressive car elle met la personne en situation d’apprenant et que son but est de viser l’autonomie le plus rapidement possible. Elle est tout sauf génératrice de dépendance comme pourrait l’être l’approche médicamenteuse (bien que cette dernière soit nécessaire et utile), mais non suffisante.
4.5 – L’accompagnement institutionnel et médico-social
4.5.1 – Les juristes de la santé au travail
Il s’agit des professionnels de la sphère médico-juridique (médecins inspecteurs du travail, comité médical de la Sécurité Sociale, contrôleurs de prévention CRAMIF, comité médical de la fonction publique).
Ces instances médico-juridiques permettent à l’individu d’être sécurisé sur le plan du droit du travail (ouverture de droits, confirmation de position administrative).
Elles appuient leurs décisions à la fois sur un diagnostic et sur un cadre réglementaire et juridique. Leurs décisions s’imposent tant à l’employeur qu’aux salariés ou agents si on parle de la fonction publique. Dans le cadre de personnes souffrant de burn-out, il est souvent préconisé un congé de longue maladie, la personne est alors conviée à rencontrer un expert de la CPAM s’il elle dépend du privé ou du Comité Médical si elle dépend de la fonction publique.
Si les droits à la longue maladie sont reconnus, le salarié continue à être rattaché à l’entreprise et à bénéficier de l’ensemble des droits que lui confère son contrat de travail ou son statut s’il est fonctionnaire.
4.5.2 – Les médecins inspecteurs du travail
L’inspecteur du travail contrôle l’application effective des règles du Code du travail dans l’entreprise, il conseille l’employeur, les représentants du personnel et les salariés et il peut susciter la tenue de réunions de CHSCT. Il a droit d’accès dans les entreprises et il vérifie la prévention via le document unique et peut assister aux réunions du CHSCT, dont il est en copie des procès-verbaux.
4.5.3 – Les préventeurs et contrôleurs de la CRAMIF et des CARSAT
La CRAM conseille l’employeur dans sa démarche de prévention, elle peut l’inviter à prendre toute mesure de prévention qu’il estime nécessaire et justifiée. Les préventeurs et contrôleurs ont droit d’accès dans les entreprises et la possibilité d’assister aux réunions du CHSCT. Ils peuvent mener des enquêtes, mesures et prélèvements. Ils disposent d’un droit d’injonctions et peuvent majorer ou minorer les cotisations AT-MP.
Acteur incontournable de la prévention des risques professionnels auprès des entreprises, la CRAMIF, en Ile de France, et les CARSAT, en région, s’efforcent de les informer en proposant notamment des outils pour évaluer et prévenir les risques psychosociaux avec une priorité pour les méthodes collectives. L’action préconisée porte sur une approche globale et sur un engagement pluridisciplinaire intégrant les critères réglementaires, ergonomiques, médicaux, managériaux, psychologiques, et sociologiques liés à l’activité réelle des salariés.
4.5.4 – Le comité médical (fonction publique) et la CPAM (pour le privé)
Ces instances valident la position au regard du droit du travail du salarié ou de l’agent. Si l’individu doit se reconstruire en dehors de l’entreprise, il doit préserver ses droits. Pour cela il est examiné par des médecins experts de la CPAM s’il relève du régime général ou du Comité Médical s’il relève de la fonction publique. Si les droits à la longue maladie sont reconnus, le salarié continue à être rattaché à l’entreprise et à bénéficier de l’ensemble des droits que lui confère son contrat de travail ou son statut s’il est fonctionnaire.
Le comité médical et la CPAM gèrent le système public d’indemnisation dans le cadre du système solidaire de la sécurité sociale : ils gèrent les demandes de réparation en accident du travail ou maladie professionnelle. La liste des maladies professionnelles est élaborée sur la base de la nosographie CIM-10 de l’OMS. D’inspiration comportementaliste, sa méthodologie exclut des approches plus fines comme la psychodynamique du travail. Ceci explique le taux très élevé de demandes de reconnaissance de troubles psychopathologiques en maladie professionnelle refusées. Ce système a le mérite d’exister ; en Europe, à l’exception de la Suède, très peu de pays permettent pour l’instant une reconnaissance des troubles psychopathologiques en maladie professionnelle.
La lutte pour la reconnaissance menée au Japon par les associations de victimes de mort et suicide par surtravail, karôshi et karôjisatsu, pourrait servir de référence pour la France, en veillant à ne pas se limiter aux cas survenus sur le lieu de travail. Il conviendrait aussi de placer ces morts brutales sur un continuum pathologique résultant à la fois du surtravail et du « maltravail », depuis les « infrapathologies » ou signes précoces que constituent les maladies de peau, les troubles digestifs et les insomnies jusqu’aux accidents cérébro et cardiovasculaires et les suicides, en passant par les troubles musculo-squelettiques, les cancers, les pneumoconioses, etc.
4.5.5 – Les professionnels institutionnels (juridique droit social)
Il s’agit des professionnels institutionnels de la sphère juridique (avocat droit social, inspecteurs du travail, tribunal, prud’hommes). Ces professionnels aident les salariés à défendre leurs droits en particulier dans le domaine de la santé.
Ils appuient leurs décisions sur le code du travail. Les représentants du personnel sont en contact avec ces professionnels pour orienter les salariés qui voient leurs droits bafoués.
4.6 – Le soutien de l’entourage social
La victime est un individu citoyen qui possède d’autres ressources dans les autres sphères de sa vie : sa sphère privée et sa sphère sociale non professionnelle. Il peut donc s’appuyer sur :
- Sa famille (son couple, ses enfants s’il en a, ses parents, frères et sœurs…),
- Ses amis,
- Les associations auxquelles il participe…
Ils constituent le réseau social non professionnel au travers duquel l’individu épuisé peut malgré tout prendre conscience qu’il a d’autres identités.
1 En français : détachement, distanciation, émoussement et vide.
2 Clot Yves. Le travail à cœur, se scinde de Dejours C. qui reste sur la reconnaissance au travail. Il va plus loin en parlant de la pluridisciplinarité de l’accompagnement du salarié en souffrance qui ne trouve plus de sens à son travail : il ne peut plus bien faire son travail alors qu’il a à cœur le travail bien fait.